Par Dr. Tawhid CHTIOUI, Président-fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data
Récemment, j’ai vécu une anecdote révélatrice avec mon fils. Alors que je lui demandais de faire quelques recherches sur Google pour préparer un exposé, il m’a répondu sans hésiter : « Non, papa, on va demander à ChatGPT. » Cette réponse, aussi simple soit-elle, m’a profondément fait réfléchir sur l’avenir de l’éducation et la manière dont nous devons préparer les nouvelles générations, souvent appelées la génération Alpha, à l’ère des IA. Nous sommes confrontés à un dilemme important : comment accueillir cette nouvelle vague d’étudiants dans nos universités si nous persistons à interdire les IA génératives ? Ces outils, comme ChatGPT, ne sont pas seulement des gadgets technologiques, mais des extensions de leur quotidien, des assistants qui les inspirent et les aident à naviguer dans un monde de plus en plus complexe.
L’impact des IA génératives sur l’éducation
Dans un paysage éducatif où l’innovation technologique émerge à un rythme effréné, des institutions académiques ont choisi d’adopter une approche radicale en interdisant l’utilisation de ChatGPT, imposant même des sanctions à ceux qui osent s’en servir à des fins académiques. Cette réaction, bien que compréhensible dans un contexte de préservation des normes académiques, semble toutefois contre-productive et déconnectée de la réalité évolutive de la technologie et de son impact sur notre société.
Pour mieux appréhender cette situation, un regard rétrospectif sur les avancées technologiques s’avère instructif. Lorsque la photographie a émergé, nombre de voix s’élevaient pour prophétiser la fin de la peinture en tant qu’art majeur. Or, le temps a démontré que ces craintes étaient infondées, les deux formes d’expression artistique coexistant harmonieusement et se nourrissant mutuellement.
De la même manière, plutôt que de réprimer l’utilisation de ChatGPT, il est impératif de repenser notre paradigme éducatif, ancré dans la transmission de contenus et la reproduction de pratiques périmées. Désormais, notre mission consiste à préparer les jeunes générations à des métiers encore inexistants, à maîtriser des technologies encore à venir et à résoudre des défis dont nous ne pouvons encore mesurer toute l’ampleur.
La Génération Alpha et les IA génératives
La génération Alpha, cette première génération véritablement native du numérique, grandit dans un monde où la technologie est aussi familière qu’un jouet ou un manuel scolaire. Pour ces jeunes, les IA génératives ne sont pas une avancée révolutionnaire mais un outil organique, intuitif, façonné pour explorer, apprendre, et créer. Comme eux, les IA sont rapides, adaptatives, curieuses et perpétuellement en quête de nouveaux horizons.
Ignorer ou bannir ces technologies de l’éducation reviendrait à leur demander de s’adapter à une forme de pensée passée, figée dans des modes d’apprentissage qui leur paraissent presque archaïques. Imaginez demander à une génération qui manipule les interfaces tactiles et commande vocalement leur environnement de s’en tenir à des manuels statiques et des méthodes traditionnelles. Le décalage serait flagrant, presque violent, non seulement pour eux, mais pour leur rapport au savoir.
Refuser cette alliance, c’est limiter leur capacité à aborder demain avec la rapidité, l’agilité et la compétence qu’ils possèdent, instinctivement. Ce serait comme donner une lampe torche à un enfant habitué à la lumière du jour – inutile, obsolète, et bien en-deçà de leur véritable potentiel. En réalité, la génération Alpha n’est pas simplement équipée pour utiliser l’IA ; elle est née pour la transcender, pour faire d’elle non pas un résultat mais une source infinie de possibilités.
Les IAs génératives sont la donnée d’entrée de l’éducation, pas la donnée de sortie
Dans l’éducation, les IA génératives, telles que ChatGPT, doivent être perçues non pas comme des réponses finales mais comme des points de départ audacieux. Ces intelligences artificielles ne sont pas des machines à solutions prêtes à consommer, mais des catalyseurs d’une réflexion plus profonde et plus critique. Les contenus générés par ChatGPT et ses pairs ne sont pas des conclusions : ce sont des énoncés. Ils doivent être vus comme des ébauches, des propositions de réflexion, des scénarii stimulants.
Imaginez un élève face à une question complexe. Il pourrait utiliser une IA pour recevoir une réponse structurée, bien formulée, mais cela signifierait la fin de sa propre exploration intellectuelle. Or, le véritable potentiel de l’IA dans l’éducation réside dans son pouvoir de suggestion, dans sa capacité à offrir des perspectives, des hypothèses, des scénarii. C’est la « donnée d’entrée » qui met en route le raisonnement, qui déclenche la créativité, qui pousse à l’analyse critique. Ce que l’IA offre n’est qu’un matériau brut qui attend d’être sculpté, remodelé et analysé.
En somme, les résultats générés par les IA doivent être une étincelle et non une conclusion, une invitation et non une finalité. En interdisant des outils comme ChatGPT, on donne aux étudiants l’illusion qu’ils détiennent les solutions absolues ; ils finissent par les utiliser et les considérer comme une réponse définitive — parfois en soumettant directement des devoirs rédigés par l’IA — ce qui constitue le pire des résultats. Il est essentiel, au contraire, de leur enseigner à s’en servir de manière critique et réfléchie, afin de les aider à approfondir leur compréhension et développer leur propre pensée.
Ainsi, le rôle de l’éducateur évolue aussi. Il devient un guide dans cette exploration des possibilités générées par l’IA, un animateur qui pousse à transformer cette « donnée d’entrée » en un processus intellectuel enrichissant. La réponse de l’IA ne fait que lancer le défi d’une réflexion plus poussée.
Une nouvelle mission pour l’Éducation
À l’ère des IAs, notre mission éducative doit évoluer. Il ne s’agit plus seulement d’enseigner des connaissances figées, mais de guider les étudiants dans l’utilisation judicieuse des technologies émergentes. Il est crucial de les préparer à un monde au sein duquel les compétences d’analyse critique, de créativité et de collaboration avec des IAs seront essentielles.
Imaginez un étudiant en architecture qui, avec l’aide d’une IA générative, peut explorer en quelques secondes des centaines de designs urbains inspirés de cultures et de styles variés. Ce processus ne se substitue pas à sa créativité, mais lui permet de réfléchir plus loin, d’approfondir des concepts, et de concevoir des espaces urbains résolument nouveaux, adaptés aux défis écologiques et sociétaux d’aujourd’hui. L’IA devient un catalyseur pour l’aider à formaliser une vision originale, que seul son esprit critique peut finaliser et humaniser.
Dans le domaine de la recherche médicale, les étudiants qui utilisent des IA génératives peuvent simuler des interactions biologiques complexes, tester virtuellement des hypothèses, et découvrir de nouvelles molécules pour lutter contre des maladies. Cependant, il leur revient d’interpréter ces résultats, d’identifier les failles potentielles, et de poser les questions éthiques essentielles. L’IA propose des pistes, mais les compétences analytiques et la prise de décision humaine demeurent au cœur de l’avancée scientifique.
L’une des plus grandes valeurs ajoutées des IAs génératives dans l’éducation est qu’elles aident les étudiants à se familiariser avec les outils qu’ils utiliseront dans les futurs métiers — des métiers parfois encore inexistants aujourd’hui. Des futurs designers collaboreront avec des IA pour produire des prototypes ; des ingénieurs informatiques créeront des algorithmes avancés et des systèmes intelligents capables de résoudre des problèmes complexes en un temps record ; des experts en marketing utiliseront des outils pour des analyses en temps réel de comportements de consommation ; et des juristes s’appuieront sur des IA pour analyser des milliers de cas en quelques minutes. En intégrant ces outils dès maintenant dans les cursus, nous les aidons à s’approprier ces technologies et à développer des compétences qui seront cruciales pour rester compétitifs.
Repenser notre mission éducative pour l’intégration des IA génératives, c’est préparer des étudiants capables de naviguer dans un monde en perpétuelle évolution, et de le transformer activement. Grâce à cette nouvelle approche, nous ne leur enseignons pas seulement à utiliser la technologie, mais à la maîtriser, la questionner et l’humaniser, pour en faire un levier d’innovation et de progrès sociétal.
Cette réorientation exige une adaptation de nos approches pédagogiques. Il est crucial de cultiver de nouvelles formes d’intelligence, telles que la pensée analytique et créative, la gestion de la complexité, l’intelligence émotionnelle et collective, ainsi qu’une éthique solide et des capacités d’action concrète.
Prenons cette évolution comme une opportunité pour concevoir des expériences d’apprentissage personnalisées et interactives, stimulant ainsi la génération d’idées novatrices et accélérant la recherche et l’innovation. Dans ce nouvel écosystème éducatif, le rôle de l’enseignant évoluera de celui de simple transmetteur de connaissances à celui d’architecte de compétences, permettant aux élèves de s’épanouir pleinement dans un monde où l’adaptabilité et la créativité sont des atouts essentiels.
Conclusion
Il ne s’agit pas de choisir entre l’IA et la créativité humaine, mais de comprendre comment les deux peuvent coexister et se renforcer mutuellement. La génération Alpha intègre nos universités avec des attentes et des compétences nouvelles. Il est de notre responsabilité de les préparer non seulement à utiliser ces technologies, mais à les maîtriser et à les dépasser, pour devenir les innovateurs et les leaders de demain.
La prévalence croissante d’outils d’IA génératifs comme ChatGPT soulève des questions cruciales sur l’orientation de l’enseignement supérieur. Devrions-nous continuer à adhérer aux méthodes d’enseignement et d’apprentissage traditionnelles ou devrions-nous adopter ces technologies innovantes pour mieux équiper les étudiants aux défis et aux opportunités qui les attendent ?
L’interdiction de l’IA générative dans les universités, comme l’ont proposé certaines institutions, semble être une approche dépassée et contre-productive. Au lieu de bannir ces technologies, nous devrions explorer comment les intégrer dans le programme d’études pour enrichir l’apprentissage, stimuler la créativité et préparer les étudiants à évoluer dans un monde où l’IA est omniprésente.
Cependant intégrer l’IA dans l’éducation signifie aussi appréhender les enjeux éthiques complexes qu’elle soulève ; c’est là une autre dimension clé de notre mission éducative. Les étudiants doivent comprendre l’importance de la transparence, de la sécurité des données et de la protection de la vie privée dans un monde numérisé. En les initiant à ces réflexions dans un cadre éducatif, nous formons des citoyens capables de maîtriser les outils technologiques sans en devenir dépendants, et qui se poseront les bonnes questions pour un usage responsable et humain.