Par : Dr. Loïc VERLINGUE, Médecin-Chercheur au Centre Léon Bérard & Dr. Tawhid CHTIOUI, Président-fondateur d’aivancity, la Grande Ecole de l’IA et de la Data
L’intelligence artificielle représente l’une des avancées technologiques les plus prometteuses de notre époque, en particulier dans le domaine de la santé. À travers son potentiel, elle permettrait non seulement d’améliorer la qualité des soins, mais aussi de redéfinir la relation entre les patients et les professionnels de santé. Ses applications peuvent aider à répondre aux enjeux contemporains tels que la gestion des maladies chroniques, la réduction de la charge administrative des soignants et l’amélioration de l’accès aux soins sur tout le territoire.
Mais cette révolution n’est pas sans défis : comment s’assurer que ces technologies restent au service de l’humain, qu’elles renforcent le rôle des soignants tout en responsabilisant les patients dans leur parcours de santé ? Comment garantir une utilisation éthique et responsable des outils numériques, et comment transformer la pratique médicale sans déshumaniser le soin ?
Au cœur de cette transformation se trouve une question essentielle :
l’IA peut-elle être un levier d’humanisation du système de santé tout en permettant des avancées significatives sur le plan scientifique, économique et organisationnel ?
Cette réflexion exige de replacer le patient au centre, de valoriser les soignants et de repenser la formation pour accompagner cette mutation, tout en intégrant les enjeux éthiques et environnementaux.
Redonner le pouvoir aux patients grâce à l’IA
Avec l’IA, les patients peuvent devenir les acteurs principaux de leur santé, en participant activement à la gestion et au suivi de leur état. Les technologies basées sur l’IA offrent des outils puissants pour démocratiser l’accès à l’information et personnaliser les soins de manière inédite. Par exemple, des applications mobiles permettent aujourd’hui aux patients atteints de maladies chroniques, comme le diabète ou l’hypertension, de suivre leurs évolutions quotidiennes à travers des capteurs intelligents. Ces dispositifs leur fournissent des données précises en temps réel et des recommandations adaptées pour gérer au mieux leur condition. Ce type d’accompagnement technologique renforce non seulement leur autonomie, mais aussi leur compréhension des mécanismes de leur maladie.
Certains outils peuvent même prendre en compte les préférences du patient, qu’il s’agisse de son mode de vie, de ses priorités ou de ses appréhensions vis-à-vis de certains traitements. Il est maintenant nécessaire de démontrer un bénéfice sur la satisfaction des patients et des soignants au long cours, sur la réduction des complications et sur la réduction des couts de soins. Par exemple, un patient souhaitant minimiser les hospitalisations pourra bénéficier d’un plan de traitement adapté à domicile, grâce à des outils de télémédecine et de suivi à distance. Les agents conversationnels – offrant par exemple un accompagnement psychosocial – et les outils de synthèse de consultations ont la possibilité d’améliorer la prise en charge globale des patients, respectueuse des besoins et des attentes des individus, tout en renforçant leur confiance dans le système de santé. L’IA a la possibilité de réconcilier haute technologie et approche humaine. Pour arriver à cela il y a de nombreux écueils à éviter. En particulier le risque d’altérer la communication envers les patients et entre les soignants eux-mêmes. Le bon sens médical et soignant est probablement le meilleur guide, permettant de garder du sens dans les pratiques et favorisant les vocations des futurs professionnels.
Des diagnostics précoces et optimisés
Dans le cadre de la lutte contre le cancer, les systèmes d’IA offrent des perspectives intéressantes. Capables d’analyser des milliers d’images médicales très rapidement, ces technologies aident à détecter précocement des anomalies à des stades où une intervention rapide peut transformer l’issue de la maladie. Ceci est largement démontré dans l’analyse automatique des mammographies sous supervision humaine, par exemple. Toutefois les prix d’acquisitions sont parfois élevés par rapport au gain de temps attendu. Cette capacité d’analyse approfondie peut permettre d’établir des diagnostics précis, par exemple avec l’analyse de lames anatomopathologiques, dans des situations bien précises. Les MCED (multi cancer early detection tests) vont encore plus loin : ils permettent de prédire le site d’un cancer à un stade très précoce, même parfois invisible par les imageries, grâce à une simple prise de sang. Ils sont issus d’algorithmes puissants d’IA et montrent des résultats préliminaires encourageants. De nombreuses questions persistent quant à leurs applications cliniques, en particulier avec le risque de faux-positifs. Il y a tout intérêt à ce que la France participe plus largement à ces évaluations.
Par ailleurs, un vaste domaine cherche à reproduire les performances humaines dans la personnalisation des soins. La médecine personnalisée permet de mieux répondre aux besoins spécifiques des patients, en tenant compte de leurs antécédents, préférences et contraintes personnelles, associé à des données générées avec des techniques de pointe (comme le séquençage haut débit). Ces informations sont rendues accessibles aux patients, comme pour les outils de recherche personnalisée d’essais cliniques, ou l’interprétation des analyses moléculaires des cancers. En définitive, l’IA ne se contente pas d’aider aux soins : elle peut responsabiliser les patients et les accompagner dans un processus d’amélioration continue de leur qualité de vie.
De la réaction à la prévention : un changement de paradigme
Certaines innovations technologiques peuvent même favoriser une santé préventive et durable. Par exemple, un ou une patiente présentant des facteurs de risque cardiovasculaire, ou des risques d’effet indésirables des chimiothérapies, peut recevoir des alertes personnalisées, accompagnées de recommandations précises pour adapter son mode de vie. En utilisant des outils de suivi en temps réel, ces patients peuvent ainsi surveiller l’impact de leurs choix sur leur santé, que ce soit à travers des modifications alimentaires, des programmes d’activité physique ou des traitements médicamenteux adaptés.
Au-delà des bénéfices individuels, cette approche préventive a également des implications économiques majeures. En réduisant les coûts liés à des traitements ou à des hospitalisations, les IA préventives peuvent contribuer à la pérennité des systèmes de santé. Par exemple, dans le cadre des maladies chroniques et les cancers, des technologies prédictives se développent pour identifier les patients à risque avant l’apparition de complications, réduisant ainsi les interventions d’urgence. Cette anticipation améliore également la qualité de vie des patients en leur évitant des épisodes aigus ou des traitements plus invasifs. En réorientant les pratiques vers une logique de prévention, l’IA contribue à pouvoir maintenir les individus en bonne santé le plus longtemps possible.
Soigner chaque patient comme un cas unique
L’IA est utilisée pour produire de nouveau médicaments à très haut débit. Les toutes premières molécules générées par l’IA semblent avoir un taux de réussite très intéressant dans les essais cliniques de phase précoce. Ces molécules sont donc très précises biologiquement et optimisées quant aux éventuels effets indésirables. Le nombre de nouvelles molécules à évaluer dans les essais cliniques ne cesse de croitre exponentiellement, et cette tendance va persister. Les essais cliniques permettent aux patients en cancérologie l’accès à des soins de pointe et très personnalisé. Ils ont également des répercussions positives pour l’économie, permettent d’anticiper les couts de santé futurs, et favorisent le rayonnement scientifique dans un environnement très compétitif au niveau mondial. Il y a tout à gagner à travailler sur les étapes réglementaires, à s’aligner avec les initiatives européennes, diminuer l’effet frontière, afin de continuer à attirer les nouvelles molécules proposées par les industries pharmaceutiques utilisant l’IA, dont certaines Françaises, afin de maintenir la qualité des soins proposé aux patients actuellement et dans le futur.
La plupart des applications présentées, mises ensemble, nécessitent d’analyser de multiples types de données de santé (textes, biologie, moléculaire, imagerie, etc…). L’accès à ces données individuelles reste un défi, nécessitant un cadre règlementaire assurant à la fois la sécurité des données et favorisant l’utilisation d’outils de qualités. Il faut aussi anticiper que la prescription d’outils basés sur l’IA pour l’aide aux soins sera également personnalisée. Par exemple, un agent conversationnel de soutien psychologique ne peut pas convenir à tous les patients indifféremment. Avec la multitude d’applications des IA s’appliquant à la santé, il est temps de personnaliser leurs utilisations en pratique clinique, à l’instar de la prescription d’un scanner, d’une fibroscopie ou d’une analyse moléculaire.
L’IA à l’origine de nouvelles stratégies thérapeutiques
L’IA permet d’analyser des bases de données complexes, transformant et combinant les informations existantes pour les enrichir et projeter de nouvelles perspectives. Elle ne crée pas de connaissances à proprement parler, mais elle facilite leur découverte en mettant en lumière des corrélations ou des tendances auparavant difficiles à identifier. Par exemple, l’analyse de données de plusieurs hôpitaux a révélé que les patients traités par immunothérapie pour un cancer semblent présenter une moindre fréquence de cancers secondaires (d’une autre localisation) après guérison. Cette observation, issue de données existantes et interprétée grâce à l’IA, a conduit à la mise en place d’un essai clinique académique, PREDOSTAR, explorant l’utilisation d’une immunothérapie ‘préventive’ en clôture du traitement curatif de patients atteints de cancer. Ce type d’application illustre comment l’IA, dans le cadre de recherches académiques, peut enrichir et valoriser les connaissances, permettant de nouvelles options thérapeutiques.
Former des médecins du futur : entre science et empathie
Pour bénéficier de toutes ces promesses en évitant les risques, il est indispensable de former toutes les générations de soignants à ces évolutions. C’est une magnifique occasion de se pencher sur l’importance du relationnel et de la communication dans le soin. Le soin reste le lieu où l’on communique sur son intimité malade. Il est crucial de favoriser ces qualités chez les soignants, comme l’écoute active et la présence émotionnelle. Même si les modèles de langues montrent des capacités d’empathies surprenantes et utiles, ils ne pourront pas répondre à toutes les situations médicales complexes de terrain.
Les médecins de demain devront être formés à collaborer avec des outils technologiques, leur permettant d’améliorer leurs compétences techniques, multidisciplinaires, tout en prônant l’importance de l’approche humaine dans leurs métiers. Cette évolution passe par l’apprentissage des bases de l’IA, afin de comprendre les données et algorithmes sous-jacents, mais aussi par une mise en pratique dans des situations réelles où l’interaction avec le patient reste prioritaire. Cet investissement pédagogique permet également de maintenir une recherche de qualité dans un écosystème ultra-compétitif.
La collaboration interdisciplinaire doit également devenir une norme. Les professionnels de santé devront travailler main dans la main avec des data scientists, des ingénieurs et des spécialistes en éthique pour concevoir des solutions adaptées aux besoins des patients. Cette approche hybride permettra de maximiser les apports de l’IA tout en minimisant les risques, comme les biais algorithmiques ou les problèmes de confidentialité des données. Cela permet également d’identifier les défis et les ressources humaines indispensables au déploiement de ces systèmes dans des contextes sensibles, tels que les populations défavorisées ou les zones souffrant de déserts médicaux.
Transformer la santé avec l’IA : des bases solides pour l’avenir
L’évolution induite par l’IA moderne s’intègre dans une longue histoire d’amélioration du système de santé grâce aux avancées technologiques. Elle peut même améliorer la manière dont nous pensons et dispensons les soins, de manière technique et humaine. Les ingrédients de la réussite sont certainement de mettre le patient au centre de nos préoccupations, de veiller à la qualité des conditions de travail des soignants en effectif suffisant, le tout favorisant un système vertueux, Cette transformation ne peut se faire sans un investissement conséquent dans la formation, la recherche et la collaboration interdisciplinaire. À l’horizon, se dessine un système où soignants, ingénieurs, décideurs et patients co-construisent des solutions novatrices, et évaluent leurs applications et leurs impacts dans leurs métiers, en prenant en compte les impacts sociétaux, culturels et environnementaux. L’IA demande d’ouvrir la voie à une meilleure intégration des données de santé au niveau Européen et mondial, à des fins de représentativité des populations, et favorisant le partage de connaissances et l’accélération des découvertes scientifiques.
Cette révolution appelle cependant à une vigilance accrue sur le plan éthique : garantir l’équité d’accès aux technologies, respecter la confidentialité des données, favoriser des IA souveraines à l’échelle Européenne et veiller à ce que les outils développés servent véritablement l’intérêt des patients. En dépassant les frontières actuelles de l’innovation, nous pourrions imaginer un futur où l’IA anticipe non seulement les pathologies, mais participe aussi à renforcer le bien-être global des individus. C’est à cette condition que l’IA pourra pleinement réaliser sa promesse : devenir un levier d’humanisation et d’excellence pour le système de santé de demain.
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